Martial Cherrier : champion et artiste reconnu

 

                                                                            En 1994


Après avoir mis l’accent sur la nouvelle génération de compétiteurs, je commence une série sur les champions les plus emblématiques des années 90. C’était l’époque où j’ai commencé à me passionner pour le culturisme à travers des revues d’abord puis, à partir de 1995, en assistant à des compétitions et en montant chaque année au Salon de Paris qui se déroulait alors au Parc Floral de Vincennes.

Martial Cherrier fait incontestablement partie des figures majeures de cette décennie florissante et reste le seul champion français à avoir su se réinventer en artiste reconnu, exposé dans des institutions prestigieuses et véritablement adoubé par le milieu arty haut de gamme.

Dans le premier volet du long entretien qu’il m’a accordé, il revient sur son riche parcours d’athlète, en France et aux USA. Dans une quinzaine de jours, je publierai la suite qui sera donc plus axée sur ses aventures artistiques.


                                                                             En 1986

 

Résume-nous ton parcours sportif avant de le Body-Building

Je suis né à Caen le 18 juin 1968.

Mes parents étaient boulangers, tous les matins, je sentais les bonnes odeurs de pains et viennoiseries. J’ai eu la chance de grandir à Luc-sur-Mer. Au quotidien je pratiquais la pêche, promenades au grand air, vélo etc

Adolescent (vers 13/14 ans) je faisais du wind-surf et de la boxe américaine en parallèle d’un apprentissage de pâtisserie où je travaillais de nuit.

 

Qu’est-ce qui t’a poussé à te mettre à la musculation ? de te lancer en compétition ?

J’étais très actif et trop maigrichon et j’ai commencé la musculation fin 1984. J’ai tout de suite accroché ! La conjugaison développement corporel / augmentation de la force m’ont littéralement passionné.

Au retour de mon service militaire, fin 1987, j’ai décidé d’arrêter la pâtisserie et de m’inscrire au BEAECPC.

Fin 1990 j’ai obtenu le diplôme d’éducateur sportif spécialisé en culture physique et Culturisme.

Suite à un premier article dans Le Monde du muscle où je présentais un résultat de travail culturiste j’ai été contacté par Patrick Sarfati qui avait photographié Jean-Claude Van Damme et d’autres modèles musclés.

C’était Francis Benfatto ton grand modèle ? Comme lui, tu es parti concourir et vivre aux USA. Raconte-nous cette expérience.

Patrick m’a mis en relation avec divers photographes aux US et je suis parti à Los-Angeles pour 5 mois.

Je me suis logé en hostel à Venice Beach et me suis entraîné au World’s Gym tous les matins vers 6h30 et pour des séances de 2h30 à 3 h. Cela m’a permis de progresser dans mon travail et améliorer la plastique.

D’autre part, j’avais la chance de voir Arnold et d’autres stars des différentes époques et disciplines. J’ai pu rencontrer le magnifique Françis Benfatto que j’admirais pour son esthétique et sa plastique non hypertrophiée à l’extrême.

M’entraîner au côté de champions dans une ambiance très chaleureuse où l’on avait le sentiment d’être compris dans notre pèlerinage.

                                                                        En 1990
 

Rappelle-nous ton riche palmarès.

Je suis rentré en France avec le désir profond de transformer mon corps en vrai Body-builders que j’avais pu voir en vrai ! J’avais déjà un premier fils Paul qui avait presque deux ans. J’ai effectué divers boulots de prof , portier..et je continuais un entraînement sérieux.

                                                    En 1990 avec le légendaire Momo Benazziza
 

En 1991 j’ai participé à un premier championnat, un Open de Caen. C’est lors de cet événement que j’ai eu la chance de rencontrer Guillaume Blin qui est devenu mon ami et partenaire d’entraînement.Nous étions hyper passionnés et motivés.

Nous avions pris l’habitude de tout noter et photographier, avons pris contact avec Jean Texier qui a publié nos progressions et préparation dans ses revues spécialisées. Cela a été très stimulant!

En 1993 nous avons participé au France WPF -85kg (Guillaume a fini 3eme et moi 5 ieme)

                                                                En 1993, à la WPF
 

En 1994 Guillaume est sacré champion de France et moi vice-champion de France chez les  -85kgA l’issue du Championnat je décide de repartir aux USA faire du Body-building.

Je vis et travaille à l’hostel de Venice et propose mes services comme personal traine et je gagne le Venice Beach contest Over 200lb, avec en prime l’Overall et le titre de best poser. C’était juin 1994

Cela me permet d’être invité au Gold’s Gym à un brunch en présence de Schwarzenegger dans son restaurant on Main Street Avenue .

Je m’inscris à une compétition NPC qualificative, The Tournament of Champion, et là je mesure le fossé qui me sépare des champions US et décide de rentrer en France prendre un titre de champion IFBB et reprendre le circuit traditionnel (j’ai fait cinquième à cette compétition, en petite forme)

                                                            En 1994
 

En 1995 je termine donc 3ieme à France IFBB -90kg dans une très grande forme mais trop light

Je pars régulièrement aux US pour des séjours et préparations mais en 1996 je présente un physique trop mou et je fais 5ieme en finale !!!

                                                                              En 1994
 

En été 1997 je décide de venir faire ma préparation en Normandie. Je m’inscris au gym et rencontre un jeune athlète diplômé Sylvain Hoerter qui deviendra un ami et partenaire. Je pouvais aussi compter sur Sophie ma charmante compagne et maman de Paul pour me soutenir. 

 

                                                                   En 1994

 

Outre Sophie et Sylvain, je veux mentionner l’aide que m’a apportée très gentiment le président IFBB de l’époque Didier Cabrol, un grand body-builder des 70/80, qui m’a invité dans son magnifique gymnase « Weider Gym » rue Sedaine à Paris entre 94 et 97 et que lors de la saison 1994 /95 j’ai été aussi aidé par mon ami et conseillé Bruno Lacroix. En 1997 ce fut avec l’aide de Philippe Gateau que j’ai été Champion de France, année où je retrouve Guillaume Blin pour la suprématie normande et nos victoires respectives en + et -90kg à l’IFBB ! 🍾💪😎

                                                    En 1995 avec Bruno Lacroix
 

A l’été 1997, en Espagne, enfin champion de France à 29 ans, je décide d’arrêter la compétition, le sentiment d’être trop âgé pour la conquête du body-building professionnel. Certains de mes collègues Body-builders considèrent mon départ prématuré et comprennent mal mon nouveau challenge. 


                                                                                 En 1995


                                                                            En 1996

                                                                    En 1997




Propos recueillis par Jérôme Pesqué (avril 2021)

Crédits photos : Rémi Dubourguais / Sophie Kulczewski/ Johny Lancereau / Laurent Heurtois/ Patrice Morellec.

****

 

 


Et voici le second volet de la riche interview de Martial, volet plus axé sur ses aventures artistiques que le premier mais où le culturisme n'est pas absent non plus.


Dès le milieu des années 1990 tu commences à être sollicité comme modèle par des photographes arty comme Patrick Sarfati puis tu deviens artiste à ton tour. Comment cela s’est-il passé ?

                                                                Photo de Patrick Sarfati

Grâce à mes activités d’éducateur sportif, modèle et poseur, j’ai la chance de rencontrer de nombreuses personnes du monde artistique contemporain. A l’automne 1997, je commence a mettre en place un travail auto-représentatif d’assemblage d’idées, de recyclages sur différents supports : photos, peintures, dessins, collages et vidéos.

                                                                            En 2012
 

Au Printemps et à l’automne 2000, je participe à deux premières expositions collectives : « Narcisse blessé »  et « À visage humain ». C’était à Paris, parrainé par mon regretté ami et élève japonais Keiichi Tahara.

Depuis mes début artistique, j’ai la chance d’être soutenu et aidé par de nombreux intellectuels, philosophes, écrivains et critiques d’art, tels que: Françoise Gaillard, Barbara Polla, Jean Texier, Dominique Quessada, Guillaume de Sardes. Ils vont me permettre d’éclairer mes recherches, m’initiant à leurs disciplines comme j’initie certains d’entre eux à la mienne.

 

                                                                France IFBB 1995

Comme disait le plus grand culturiste français, Serge Nubret : « les culturistes ne sont pas plus ignorants que les autres, mais, quand on passe la majeure partie de son temps aux gymnases, on ne peut pas être en même temps à la bibliothèque..! »

De 2000 à 2017, je participe à de nombreuses expositions collectives et personnelles dans des villes comme Paris, Londres, Budapest, Bangkok, Singapour, Shanghai, Moscou, Milan, Sao Paulo, Niteroï, Rio de Janeiro, en galeries, musées et écoles d’art.

                                                            En 1994, à Muscle Beach


En 2006 naissance à Paris de mon deuxième fils Martial jr.

2007 fut une année forte avec l’exposition personnelle à la Maison européenne de la photographe (Paris) intitulée « Fly or Die » et la réalisation de mon premier livre aux éditions Mep/Contrasto.


Et aussi, le mariage à Luc-sur-Mer avec Juliene mon épouse rencontrée au Brésil lors de mes séjours artistiques.

Parallèlement à l’essor de tes activités artistiques, tu as continué à travailler dans le milieu du body-Building ?

Oyui, en effet. De 2005 à 2015, j’ai aidé plusieurs athlètes dans leurs préparations : Brigitte Javel, Elcio dos Santos, Anthony Bessala, Mouss Belaha, Stéphane Quenon, Pascal Garnier et mon jeune ami Normand Peter Foucaux qui obtiendra sa carte professionnelle à l’Ifbb.

                                                                            En 1997
 

J’ai une tendre pensée pour notre ami body builder et poète Fabien Boucard parti trop tôt 🙏🕊

La culture physique raisonnée améliore la santé et le bien-être, le culturisme sa branche extrême en revanche peut parfois conduire à abréger l’existence, c’est la dure loi du sport de compétition sans limites et le désir de gloire.


 

Entre 2010 et 2014, je retrouve mes amis normands coachs et athlètes, Guillaume Blin et Sylvain Hoerter. Nous travaillons ensemble sur la création de la salle de Guillaume « Raw Fitness » en banlieue sud de Paris.

Durant cette période, je vais me remettre en situation culturiste afin d’effectuer des moulages de mon corps et des photos sur miroir en vue de l’exposition « État d’urgence » présentée à la Maison européenne de la photographie et chez mon ami Pierre Passebon à la Galerie du passage. Cet événement donne lieu à un deuxième livre aux éditions Mep/Contrasto.

                                                                
1997, avec son père.                      
 

J’y aborde au travers de ma vision culturiste différents thèmes qui me sont chers : la Nature, la Culture, la Beauté, l’Effroi, l’Hérédité, l’anatomie, la sensualité, le tragique, la destruction et la mort.

 


                                                Fly or Die 2004 photo de Martial Cherrier

 

Au début de l’été 2014 nous quittons, ma femme et moi, la capitale pour le sud ouest de la France.

Nous allons effectuer une saison en cuisine hôtellerie avec mon ami Johnny, manager d’un hostel à Venice Beach rencontré en 1991..!

À l’issue j’en profite pour faire une pause et faire réparer chirurgicalement plusieurs blessures  liées au culturisme.

Ensuite nous ouvrons une boutique de compléments alimentaires au sein du club « Body Soccer’ à Pamiers.

J’ai le plaisir d’enseigner et partager ma passion avec mon jeune ami Anthony Queva auprès d’un public jeune et motivé.

Au printemps 2017, je monte ma dernière exposition personnelle « Body ergo sum » pour le départ de la Maison européenne de la photographie de mon ami et mentor Jean-Luc Monterosso.



L’exposition donne lieu à un dernier livre et traite de l’univers qui a structuré mon imaginaire.

Avec l’aide de mon ami Jean Philippe Marquet je réalise des montages photos dans lesquels j’insère mes silhouettes personnages avec mes modèles et influences tels que : Arnold Schwarzenegger, Michel-Ange, Kaï Greene, Leonardo da Vinci, Weider, Joseph Beuys, Marcel Duchamp, Le Caravage etc..

                                Exposition Body ergo sum 2017 photo de Martial Cherrier
 

En 2019, nous revenons en Normandie prendre soin de mes parents. Je poursuis mes travaux artistiques, toujours à la recherche de l’inspiration dans ce monde où tout s’accélère.


 

Quel regard portes-tu sur l’évolution actuelle du Fit Game ?

Depuis mes débuts,  en 1984, le souvenir d’un univers magique, habité de personnages initiés et mystérieux, revues spécialisées, courrier des lecteurs, dossiers etc est devenu aujourd’hui en 2021 l’industrie du Fitness !

L’artisanat pré Internet a quasiment disparu, laissant place au Fit Game, ses réseaux sociaux...Fitness anytime, everywhere now ! C’est le monde d’aujourd’hui de la consommation de masse dictée par les puissances économiques !

Mon côté optimiste me fait penser que c’est une bonne chose pour l’humanité qui si elle se respecte et prends soin d’elle, finira j’espère par reproduire la bonne conduite envers la nature qui souffre.

Nous, les bodybuilders émergents de la fin du XX ième siècle, avons assisté à la multiplication des catégories dignes des défilés de mode et concours de beauté...

                                                                        En 2014
 

C’est également une bonne chose qui permet à un large public de faire l’expérience scénique et la transformation du corps.

Et comme disait Arnold : « s’exhiber sur scène en slip n’est pas une chose à prendre trop au sérieux.. »

Cette pratique quasi burlesque, presque tragi-comique, nécessite pourtant une somme d’efforts sportifs et de gestes athlétiques et ne doit pas nous faire oublier que l’important reste dans le partage, l’amour, l’échange des émotions et la diversité de nos êtres.

Je célèbre et remercie la vie au quotidien je peux dire que mes rêves d’enfants ont étés mêmes dépassés.


                                                État d’urgence 2014 photo de Martial Cherrier
 

 

Commentaires